Départ à 6 volontaires au lieu de 16

L'apparent professionnalisme de Shawco a ses limites, sur les 16 volontaires censés encadrer cette première session, on était 6, certains ont dû se perdre. Remarquez, ça tombe bien, il y a eu cafouillage dans le choix de la taille du minibus, on aurait pas pu être beaucoup plus nombreux! Sur la route, on fait connaissance avec les autres, en émargeant et en lisant les recommandations des responsables du projet, puis en leur posant les ultimes questions. Parmi les volontaires, personne n'a déjà été à Khayelitsha. Ambiance baptême du feu, petite tension en sortant de l'autoroute, comme si on devait sauter du minibus en parachute pour rejoindre le centre. Paraît que ça fait ça à tout le monde. Et pourtant.

Premiers regards sur le township

Impressions contrastées, ce n'est pas le bidonville boueux genre La cité de la joie (faut dire qu'on est en été), les gens sur les trottoirs n'ont pas l'air d'être les plus malheureux du monde, les enfants jouent et crient partout, et pourtant... Les match-box houses sont aussi petites et délabrées que partout dans les Cape Flats, la région sablonneuse à l'est de la ville laissée aux Noirs par l'apartheid. Sur le trottoir, des voitures sur le toit rouillent.

La route principale, en meilleur état et plus large que bien des départementales françaises, est bordée par des petits magasins, des barbiers, des coiffeurs, ou des vendeurs de fruits... Ce que l'on avait évoqué en cours de politique le semestre dernier à propos des infrastructures routières conçues pour encercler, contenir et pouvoir intervenir rapidement dans les townships en cas d'émeutes prend tout son sens. De temps en temps, un poteau surplombe une quinzaine de "maisons" et autant de fils les relient au courant. Sur le trottoir, quelques robinets servent à tous les habitants. Les toilettes sont bien à l'écart, au moins 30 mètres de l'habitation la plus proche.

Quelques dizaine de secondes plus tard, après avoir dépassé une école où 200 ou 300 enfants en uniformes jouent dans une cour pas plus grande qu'un terrain de tennis, on entre dans l'enceinte du centre. Quelques gosses traînent dans la cour et se mettent à crier et à sauter dans tous les sens en nous voyant arriver. Une bonne partie des participants, qui doivent avoir entre 14 et 17 ou 18 ans sont aussi dans la cour, mais sont comme nous timides, c'est la première fois qu'ils viennent. Notre responsable nous fait la visite des lieux, la salle et le matériel sont impressionnants, bien plus classe que certains laboratoires d'informatique d'UCT. On doit jeter un œil à notre manuel, un gros pavé dont l'approche pédagogique ne me plaît pas vraiment, mais bon, au moins, ça donne une idée de ce qu'on doit couvrir aujourd'hui.

Pendant ce temps, les participants ont le droit à un ou deux biscuits: la plupart d'entre eux n'ont rien mangé ce midi et ne retourneront pas chez eux avant 17h. Puis tout le monde rentre. Après l'appel, qui permet déjà à certains de se faire remarquer et de faire rire les autres, puis quelques consignes, les volontaires se présentent... Le responsable en fait des caisses pour limiter l'absentéisme, puis rappelle à ceux qui n'ont pas leur uniforme qu'on leur demande de l'avoir. Puis leur demande pourquoi ils sont là et comment ils doivent se comporter: celui qui a fait rire tout le monde se lève et répond. Il veut apprendre à se servir de l'ordinateur qu'il a devant lui "pour avoir un avenir", et il doit profiter à fond de nos savoirs et nous respecter. Je me demande combien ça a coûté au responsable, une réponse aussi nette et complète! ;-) Impressionnants ces ados qui n'ont pas le droit de rester insouciants, qui prennent sur eux pour venir deux fois par semaine avec l'espoir de s'en sortir, de vivre une meilleure vie que celle de leurs parents, mais qui savent que sans leur investissement total, la meilleure vie ne viendra pas.

Derrière les écrans...

Vu que les participants sont bien 30, comme prévu, le plan du deux apprenants-un tuteur tombe à l'eau. Ce sera 5 par tuteur. Parmi les miens, 2 sont assez à l'aise, deux n'ont jamais touché un ordinateur de leur vie, le dernier ne doit pas avoir passé plus d'une heure ou deux derrière un moniteur. Notre lesson 1 chapter 1, c'est les périphériques de saisie... Souris et clavier, le temps que je l'explique au deux débutants, les deux plus avancés ont déjà ouvert wordpad et recopient des phrases du manuel puis se lance dans la rédaction d'un mini cv. J'aurais voulu avoir une clé usb ou une connexion pour pouvoir les reproduire ici... En gros ça donne: "je m'appelle ..., je suis à l'école ..., j'étudie l'histoire et le commerce, et j'adorerais étudier la même chose à UCT l'année prochaine". De la suite dans les idées, je vous le dis!

Maîtrisant à peu près la souris en quelques minutes et ayant compris le truc du clavier, même avec un ou deux doigts, je leur montre qu'ils peuvent sauvegarder leur mini cv... Il ferment wordpad avant de le rouvrir et de retrouver le fichier. Les visages s'illuminent quand ils s'aperçoivent que le texte qu'ils ont tapé réapparaît. Il est temps de passer à notre chapter 1, lesson 2, qui n'est autre que la manipulation du menu démarrer et des fenêtres, avec l'ouverture de wordpad. Bref, ce que l'on vient de faire... J'approfondis un peu sur les icônes, la barre de tâches, les dimensionnements et déplacements de fenêtres, l'occasion de voir que le drag'n'drop est loin d'être inné. Mais bon, malgré quelques ratages, ils ne s'en tirent pas trop mal, pour l'un des débutants, la souris n'est pas encore très précise mais ça viendra. Les deux gaillards du bout de ma rangée en sont à changer le fond d'écran, l'écran de veille, à changer la couleur du media player... Je lance les autres sur le solitaire pour finaliser le drag'n'drop et voir que plusieurs programmes peuvent tourner en même temps, même si je ne connais pas plus le but du jeu qu'eux!

Théoriquement, je devais m'en tenir là, mais il reste 20 minutes, autant en profiter pour aborder l'obtention de l'aide, le chapitre suivant. Et là, deux obstacles me sautent à la gueule. La notion de recherche dans une base de donnée d'abord, pas simple à expliquer à quelqu'un qui ne savait pas ce qu'était un logiciel une heure plus tôt. Puis le concept d'hypertexte, puisque chaque élément de la liste des solutions est cliquable... Qu'un bouton puisse se cacher sous un texte, mais que certains textes juste à côté ne soient pas des boutons... Le sous-lignage au passage de la souris n'aide pas vraiment! Enfin globalement, ils ont réussi à faire une recherche et à sélectionner une solution, et ils ont surtout compris que la touche F1 est leur meilleure amie et qu'un problème avait le plus souvent sa solution dans l'aide, ce qui n'est pas si mal!

Heureux...

On arrive au bout, une heure et demie à parler et à me promener entre les ordinateurs, je suis claqué! Mais tellement content de les voir s'être amusé, avoir découvert de nouvelles possibilités... À 5 par tuteurs, c'est clairement trop pour les aider efficacement, mais on ne s'en est pas mal tiré... Le retour dans le minibus a été riche en échanges de tuyaux, certains ayant choisi d'utiliser paint pour les aider à manipuler la souris avec un bouton enfoncé, puis en ajoutant du texte dans le dessin: pas bête! Il paraît qu'ils sont tous dessiné la silhouette de Table Mountain, eux qui n'ont peut être jamais vu la montagne à partir de la ville, comme elle est représentée sur tous les logos... Tout le monde était ravi, on a eu des difficultés à transmettre ce qui relève pour nous de l'automatisme, mais on a qu'une hâte, c'est d'y retourner!