Et pourtant, elle tourne...

Commentaires

1. Le lundi 3 octobre 2005, 13:44 par le dernier Républicain ?

J'ai trouvé ce petit site très sympa et donc j'ai décidé d'y laisser une réflexion que m'a inspiré les âmes grises ou un billet d'humeur, je ne sais pas comment on peut l'appeler. Bisous à tous les deux et bravo pour votre site. Guillaume

Qu’est-ce qu’être une âme grise ? Le cinéma a ce pouvoir sur moi qu’il me fait réfléchir. Le procureur, héros du film, a trouvé la réponse. Pour lui, l’âme grise est celle qui a perdu toute humanité. Elle erre sur Terre sans savoir quel est son but. Elle vit sans vivre, elle est insipide, égarée, inanimée. L’âme grise appartient à celui qui a perdu l’empathie, à celui qui a perdu toute sensibilité pour ceux qui l’entourent, à celui qui ne regarde les autres qu’en fonction de l’intérêt qu’il pourra en tirer. Au fond, rare sont ceux qui n’ont pas une âme grise. Nous sommes tous porteur d’une part d’humanité, cette humanité qui est placée en nous à la naissance et que nous représentons tous. C’est à nous qu’il incombe ensuite cette lourde tache de lui faire honneur. Quel honneur nous reste-t-il alors, à nous hommes du premier monde, lorsqu’on observe notre société ? Qui peut encore redresser la tête, fier de ne pas avoir une âme grise ? Ce monde corrompt nos âmes et nous éloigne de l’humanité. Considérons la personne humaine comme « une fin en elle-même » disait Kant : il n’avait pas tort.

Ma vie durant j’ai toujours cru en la République française et en ce qu’elle avait produit. Je partage avec elle ce rêve d’égalité où l’école élèverait le niveau de chacun. « Et guidé, et sauvé par l’instruction chacun aura sa place dans un monde qui respectera tous les hommes. » Combien de tableaux noirs cette phrase a-t-elle noirci ? Combien de générations d’enfants de la République l’ont-elles entendue sur les bancs de l’école ? L’école a instruit certes, mais avons-nous tous notre place ? L’école, et j’en suis la preuve, réalise les rêves, mais pouvons nous tous rêver ? « Le peuple qui a les meilleures écoles est le premier peuple » disait Simmons ; mais sommes-nous ce peuple ? Poser la question c’est y répondre… et pourtant… et pourtant… J’aimerais que nous le soyons.

C’est une curieuse histoire que celle de mon pays et de ma République. Les étrangers ne nous comprennent pas. « L’exception française », l’obsession de l’égalité, la règle du concours : tout cela a une origine, une raison, une âme : c’est la République française. Ses origines sont floues, perdues dans les profondeurs de la Révolution. Ce que l’on sait, c’est qu’au XIXème siècle, elle se met en place, presque par erreur, et que depuis elle est restée. Comme toute histoire elle a ses héros ; les miens se nomment Ferry, Gambetta, Simmons, et plus tard Mendès France et de Gaulle. La République ce sont mes origines, c’est mon fondement en tant que personne, c’est ce en quoi je crois. Mon père est fonctionnaire de l’État et toute sa vie l’a servi du mieux qu’il a pu. Moi, à mon tour je voudrais servir mon pays et faire honneur à l’image qu’il dévoile au monde. Cette République n’est certes pas parfaite mais elle véhicule des valeurs qui méritent qu’on les défende. Ma République est amour, amour de l’homme et de l’égalité. Paradoxalement, elle a colonisé l’Afrique, voté les pleins pouvoirs à Pétain et s’autodétruit aujourd’hui, oubliant même ses origines.

Si on demande a quelqu’un aujourd’hui ce qu’est être français sa réponse sera vague et ne prendra sûrement pas en compte notre modèle républicain. Le français est dans le fond un ingrat. Il doit tout à une République qu’il détruit s’en même s’en rendre compte. Beaucoup disent qu’on ne s’aperçoit de ce qu’on a que lorsqu’on le perd. Je ne veux pas que ce soit cela pour la République. La perte serait trop inestimable.

Quel avenir nous offre la France d'aujourd'hui ? Le gouvernement enlève une à une les pierres d'un édifice dont la construction a demandé des siècles. Les symboles de la République sont attqués en leur sein : la fonction publique, l'école, la sécurité sociale, les lois sociales. Aujourd'hui on ne parle que de rentabilité, de budget, de déficit. Tout ce qui n'est pas rentable est impitoyablement laissé pour mort. L'enseignement, et celui de la philosophie en particulier, voit ses crédits s'amoindrir de jour en jour. La République s'attaque à une pensée qu'elle voulait elle même promouvoir par l'instruction publique. Aujourd'hui, les élus, qui autrefois incarnaient le suffrage universel, paradent sur des plateaux télé et perdent leur temps en assitant à des émissions abjectes. Combien passent à Riposte avant de passer chez Drucker ?

Le Président de la République se fait cracher dessus en 2002, en 2003 la marseillaise est sifflée par des Corses au Stade de France. Quelle honte ! L'école de la République a-t-elle vraiment promu tout ce ramassi d'ignorants ? Nous perdons nos racines, nous sommes désorientés et si nous n'agissons pas nous deviendrons nous aussi des âmes grises.

2. Le lundi 3 octobre 2005, 19:35 par sophie

Est-ce que tu ne confonderais pas République et Etat providence?

3. Le lundi 3 octobre 2005, 20:17 par Jul

Salut Guillaume,

Loin d'être aussi inspiré que toi par ce film que j'ai personnellement trouvé bien lent et bien plat, j'avoue avoir aussi du mal à te suivre dans ton développement.

Ce monde corrompt nos âmes et nous éloigne de l’humanité.

Je dirais plutôt que les hommes construisent ce monde à leur image, le rendant au contraire très humain, très imparfait, très violent et injuste.

Considérons la personne humaine comme « une fin en elle-même » disait Kant : il n’avait pas tort.

J'ai du mal à faire le lien avec ton républicanisme ardent. J'ai l'impression qu'une posture radicalement républicaine considérerait plutôt la personne humaine comme un citoyen, un agent à maîtriser, à canaliser, que la fin en elle-même.

L’école a instruit certes, mais avons-nous tous notre place?

Avec un peu de cynisme, je répondrais presque oui, nous avons tous notre place, certains en ont juste une place plus dorée que d'autre. L'égalitarisme que tu évoques ici a toujours à mon sens relevé de la fiction, c'est plutôt l'égalité des chances qui a été mise en avant par la République, bien que les résultats ne soient pas extasiants.

La République ce sont mes origines, c’est mon fondement en tant que personne, c’est ce en quoi je crois.

Cette phrase me frappe: remplace le mot République par le nom de n'importe quelle religion, elle fonctionne encore mieux. Sans parler des origines que tu trouves si floues, tenant plus au hasard qu'à autre chose. Pour moi, la République, c'est avant tout un système de gouvernement. Celui qui a succédé à d'autres et s'est finalement imposé pour l'Etat français. Un régime qui se modèle facilement au gré des idéologies.

Cette République n’est certes pas parfaite mais elle véhicule des valeurs qui méritent qu’on les défende. Ma République est amour, amour de l’homme et de l’égalité. Paradoxalement, elle a colonisé l’Afrique (... )

Comme tu le dis, elle véhicule des valeurs, selon l'époque, le contexte, s'adapte partout. Et je ne vois aucun paradoxe à la colonisation. S'il y a une valeur propre à la République française, c'est probablement l'universalisme, qui justifie toute expansion, aussi violente et odieuse qu'elle soit, au nom des idées.

Le français est dans le fond un ingrat. Il doit tout à une République qu’il détruit s’en même s’en rendre compte.

Les anti-républicains, peut-être, le français, je ne sais pas. Si l'on devait tout à un régime politique, comment considérer la personne humaine comme fin en elle-même? Il faut bien entendu être reconnaissant quand le système offre des opportunités, mais faut-il le vénerer quand il fonctionne mal?

Les symboles de la République sont attaqués en leur sein : la fonction publique, l'école, la sécurité sociale, les lois sociales. Aujourd'hui on ne parle que de rentabilité, de budget, de déficit. Tout ce qui n'est pas rentable est impitoyablement laissé pour mort. L'enseignement, et celui de la philosophie en particulier, voit ses crédits s'amoindrir de jour en jour.

Ceux qui me connaissent le sauront, je n'ai aucune affinité pour le gouvernement actuel, bien au contraire. Mais je ne vois pas en quoi la sécu et les "lois sociales" sont des symboles de la République: comme je l'ai dit, c'est un système de gouvernement, pas un programme politique, une politique ou une idéologie. Qu'on parle de budget et de déficit, ça, je m'en réjouis: quand la charge budgétaire de la dette de l'État atteint 13,8% du budget général, il est grand temps d'agir. Par contre, de là à dire qu'on amoindrit les crédits de l'enseignement de jour en jour, il faut regarder un peu les chiffres: en 2006, le budget de l'Education Nationales sera de 76,7 milliards d’euros, ce qui représente une hausse de 5,5 % par rapport à 2005, soit 27,7 % du budget de l’Etat. C'est plus que dans beaucoup de pays de l'OCDE, et bien que les moyens financiers soient essentiels à l'enseignement, son amélioration ne passe pas forcément par l'injection continue de nouveaux fonds. Et s'il en faut vraiment, ne serait-il pas utile de consacrer moins de 13% du budget au remboursement de la dette pour dégager des moyens?

Aujourd'hui, les élus, qui autrefois incarnaient le suffrage universel, paradent sur des plateaux télé et perdent leur temps en assistant à des émissions abjectes.

Si les élus doivent incarner le suffrage universel, pourquoi leur reprocher d'affectionner les émissions populaires? Si l'on considère qu'ils doivent le représenter et le servir, l'analyse peut être différente.

Le Président de la République se fait cracher dessus en 2002, en 2003 la marseillaise est sifflée par des Corses au Stade de France. Quelle honte !

J'aurais plutôt pris l'exemple de l'assassinat de Claude Erignac pour évoquer cette honte. Ce que tu cites est certes répréhensible, mais bien prévisible: si l'honneur de la fonction présidentielle n'est pas assez respecté, c'est qu'il est mal servi par son actuel représentant. Et qu'un symbole national soit malmené par des séparatistes, c'est bien banal, dans tous les pays, dans tous les régimes.

En somme, j'ai du mal à souscrire à ton déclinisme républicain...

Jul

4. Le mercredi 5 octobre 2005, 12:05 par Guillaume, encore et toujours moi

C'est vrai qu'en relisant ce que j'ai écrit, je devais encore être dans un de mes délires Républicains, nostalgique d'un "âge d'or", plus hypothétique qu'avéré, et plein de rancoeur envers la destruction d'un modèle qui ma foi, mérite davantage de déférence.

Au deumeurant, j'ai lu très attentivement vos commentaires à tous les deux et je pense pouvoir, avec un peu de recul, expliciter un peu mon propos.

Le lien que j'ai vu entre le film et la République c'est la Première Guerre Mondiale. D'une certaine manière, la notion de guerre totale sonne un premier glas de cette République, vieille de presqu'un demi siècle. L'instituteur, figure par excellence de l'idée Républicaine puisqu'il est chargé de la diffuser à la base, sombre dans la folie et devient un exhibitionniste scatophile qui ne comprend plus le décallage entre son enseignement et une réalité qui le dépasse. De même, je perçois le procureur comme un homme qui, sa vie durant, a oeuvré pour la justice de la République, en tant que représentant du ministère public. Il a foi, lui aussi, en ce modèle républicain qui se veut humaniste mais se désole de tant de barbarie ; la guerre lui ôte toute illusion. Quel a en somme été le but de son existence ? A-t-il servi l'intérêt général ? Il se demande lui même la raison de toutes les décapitations dont ses réquisitoires véhéments ont été la cause. Voilà donc ce qui m'a conduit à m'interroger sur la République, ce qu'elle peut véhiculer, et le respect qu'on lui doit ou non. Le tout, j'en conviens, relévé d'un peu de lyrisme déchainé, mais je me soigne...

Je vais maintenant essayer de clarifier la première objection que m'a faite Julien, à défaut d'avoir le temps d'expliciter mon point de vue quant-aux autres. Ce n'est toutefois que partie remise...

Pour ce qui est "d'un monde qui corrompt les âmes", je ne sais pas si on peut parler de responsabilité humaine du monde. C'est le grand débat entre existentialisme et essentialisme en philosophie et les philosophes s'empoignent encore au couteau dès qu'on ressort le débat. Je ne saurais dire si nous sommes totalement libres et donc responsables du sens que nous donnons au monde ou si nous sommes au contraire victimes d'un déterminisme social ou autre. Ce que je pense néanmoins, c'est qu'il me parait excessif de parler d'un homme qui a façonné un monde à son image, sous entendu que ce monde est pour cela imparfait, barbare, abject... Je ne sais pas laquelle des deux affirmations est ici la plus pessimiste entre la mienne et la tienne Julien... Ce que je voulais dire, c'est que trop de personnes se laissent corrompre par le monde sans faire preuve du recul nécessaire pour contester ou refuser cette corruption. Faut-il pour autant leur jeter la pierre de manière systématique ? J'en suis moins sûr. Si les individus aujourd'hui n'envisagent plus l'altérité comme une finalité mais plutôt comme un instrument c'est aussi parce que toute une société, certes composée d'êtres humains, les y pousse. Mais c'est davantage un comportement d'ensemble qu'un trait commun qui permettrait de cataloguer l'humanité tout entière.

D'autre part, beaucoup sont dans l'ignorance même de leur inhumanité. Alors, peut-on accabler celui qui n'a même pas conscience des griefs qu'on lui reproche. Les Mexicains meurent de faim pour payer le niveau de vie des Etats-Unis ; faut-il pour autant emprisonner les 250 millions d'Etasuniens pour crime contre l'humanité ? Le citoyen de base, retiré dans sa ferme de l'Arkansas ne sait pas que le prix du carburant qu'il paye pour son tracteur est le résultat d'une extorsion massive et d'un chantage ignominieux dont sont victimes Mexicains et Vénézuéliens ? Il est né dans ce monde et il n'a pas l'impression d'être violent, injuste ou tout simplement "inhumain". Il est un paysan qui cultive sa terre et qui, sans le savoir, perpétue une injustice. Il ne s'interrogera sans doute jamais sur le pourquoi du taux de mortalité infantile en Amérique latine et continuera à alimenter l'excédent de céréales des pays du Nord, dont les stocks seront finalement détruits pour diminuer l'inflation du secteur.

Enfin, faire partie "du moule", du systême sans ne jamais s'interroger comporte une dimension réconfortante. Mieux vaut parfois ne rien plutôt que d'être angoissé à l'idée de tout ce qu'il y a à faire. Le confort de la vie quotidienne, la routine qu'implique le découpage du temps social sont autant d'aspects sécurisants. Subséquemment, plus qu'un individu qui fait le monde à son image, j'envisagerai l'être humain plutôt comme un passif qui se laisse porter et corrompre par le monde. Après tout, pourquoi adresser un sourire à mes voisins dans le métro si personne ne me sourit ? Pourquoi prendre position contre telle ou telle turpitude de notre société, qu'est ce que ça changera ? Qui n'a jamais eu ce genre de phrases en tête ? Voilà pourquoi le monde nous corrompt : parce qu'il nous offre parfois un certain confort pour le moins fallacieux et qui nous pousse de manière déguisée à la passivité. Pour moi l'âme grise est l'âme passive, celle qui se ment à elle même quant aux difficultés de la vie.

Je pense donc, que dans de nombreux cas, le monde nous corrompt plus que nous le façonnons. Des injustices, indépendantes de notre volonté et/ou dont nous avons pas conscience sont là sans que nous en portions la totale responsabilité. L'humanité n'est pas foncièrement mauvaise et pervertie ; elle a malheureusement ce défaut de laisser quelques hommes aux intentions peu louables, décider pour elle. Reste alors à prendre conscience des dysfonctionnements du monde, et à en faire prendre conscience aux autres, étape difficile et non sans risques, Socrate en sait quelque chose...

Je vous abandonne ici car il est l'heure de manger un peu... En tout cas, encore bravo pour cette idée de site où on peut échanger des idées comme ça, c'est vraiment super... A très bientôt... Guillaume

Fil des commentaires de ce billet