Je n'ai jamais été fier d'être français: un coup d'oeil à notre histoire et à notre diplomatie, pas de quoi pavoiser pour la nation des Droits de l'Hommes. En revanche, l'idée que le pays dans lequel j'ai grandi contribuait à faire la paix en Europe, à faire en sorte qu'on puisse parler avec nos voisins au lieu de se faire la guerre, ça me plaisait. Modeste fierté européenne, parce qu'il ne faut rien exagérer, l'Europe a fait beaucoup, mais tellement peu par rapport à ce que l'on pourra faire. Et en aucun cas chauvinisme européen, parce qu'au final, ce sont encore des frontières, mêmes plus larges que celles des États-Nations.

Aujourd'hui, après une campagne qui a été tout sauf belle, n'en déplaise à DSK, où les démagogues ont enchaîné les amalgames et les mensonges, où le camps adverse a été constamment sur la défensive, voilà que ce pays est seul. On aurait pourtant gagné plus de clarté, de démocratie, la reconnaissance du social dans l'Union Européenne et même plus de pouvoir au détriment des derniers entrants. Mais non, on a balayé du revers de la main un texte qui avait mis 5 3 ans à être écrit, à être débattu par nos représentants et à maturer, qui avait même passé la barrière redoutable des chefs d'États. Il avait été ratifié par beaucoup de nos amis, l'aurait été très prochainement par les autres, avec quelques aménagements pour nos amis d'outre-Manche. Et nous, on crache à la gueule de nos 24 voisins.

Une majorité de français a semblé découvrir qu'on faisait partie de l'Europe dans les 5 derniers mois. Le sujet n'avait jamais intéressé plus d'un dixième de la population. On en parlait pas, c'était loin, très loin. Et là, on se déchaîne, en rentrant directement dans les détails, sans réfléchir un peu à la démarche européenne. Et on dit qu'on aime pas. Qu'on aime pas l'Europe ou qu'on aime pas cette Europe. Pour moi, aucune différence. Parce que l'Europe, ce n'est pas un état institutionnel ou politique. C'est avant tout une culture de dialogue et de compromis. Et être pro-européen, c'est être capable de voir où on peut avancer, où on peut être plus efficaces ensemble et laisser pour plus tard ce pour quoi on n'est pas prêts.

Que les souverainistes rejettent ce nouveau traité, je comprends. Que les communistes (les vrais, les révolutionnaires) n'en veulent pas, très bien, ça n'allait pas dans leur sens. Que les racistes manipulent les peurs, rien de neuf. Que certains choisissent de répondre complètement à côté de la plaque pour punir ceux pour qui on a voté la dernière fois, c'était déjà arrivé. Que la majorité des électeurs et quelques responsables de la gauche de gouvernement, que les écologistes (à priori fédéralistes) rejettent ce texte qui ne faisait que synthétiser l'existant et ajouter des avancées démocratiques et sociales, pour lesquelles leurs représentants à la Convention se sont battus, là, je ne comprends pas. Et qu'autant de mauvaise foi soit acceptée comme un argumentaire valable par une majorité, ça me fait peur.

Je ne vais peut être pas me faire des amis, mais très franchement, maintenant, qui renégocie avec qui ce traité plus à gauche? Je n'aurais pas l'insolence de rappeler qu'avec un président de droite, un gouvernement, une assemblée de droite et un sénat de droite, nos négociateurs français ont de fortes chances d'être...de droite. Et avec qui? Avec d'autres gouvernements de gauche? Eux, comme leurs électorats, ont vu dans ce texte les avancées possibles et ont choisi de faire ce petit pas de plus, de l'ampleur de ces petits pas qui ont toujours fait avancer l'Europe, sans jamais empêcher les adaptations ultérieures. Comme opposants au texte, reste la Grande Bretagne? Renégocions pour une Europe plus politique, plus à gauche, avec le pays le moins enclin au plus d'Europe, au plus de pouvoirs mis en commun. Allons-y gaiement, battons nous contre tous, pour que notre conception l'emporte.

Seulement, à 1 contre 24, on perdra le bonus de voix française dans l'Union européenne que l'on aurait pu obtenir et on ne fera pas avancer le social, ou le contrôle démocratique, dont on vient déjà de nous proposer le maximum acceptable pour bien des pays. Et quand bien même on arracherait ce texte rêvé par les gauches nonistes (en menaçant de faire la guerre pour que l'Empire français écrase les dissidences?), il faudrait encore le faire ratifier, et même en France, bon courage, parce qu'aux souverainistes, aux racistes, vous pourriez ajouter la voix de la droite de gouvernement.

Sur quelle planète s'est donc développé le non de gauche? À aucun moment ces problèmes ne l'ont inquiété? Faire gagner sa conception dans le pays n'est déjà pas à la portée de la gauche en ce moment, alors allait-il gagner contre la droite et contre nos 24 amis? N'a t'on pas vu qu'il s'agissait là que d'un outil dont on aurait pu se servir pour mener une politique de gauche si un jour, ce camps retrouvait une majorité prochainement?

Tout cela a vraiment un goût de 21 avril. On a voulu plus de gauche, on a eu l'UMP. Et ne vous méprenez pas, si j'avais eu le droit de vote, j'aurais participé de bon cœur à cette monumentale connerie. Cette fois-ci, on a voulu plus de gauche, on aura un texte plus à droite, dans 5 ans. La gauche s'est réjouie de sa victoire aux élections européennes l'année dernière, et maintenant qu'il s'agit de donner du pouvoir à nos députés de gauche, eh bien non, allez vous faire foutre, on en veut pas. La France, le pays qui avait déjà la droite la plus conne du monde, aurait-on donc la gauche la plus conne du monde, incapable de voir qu'elle refait la même erreur stratégique que la fois précédente, et que cette fois, elle se met à dos nos partenaires?

La prochaine fois que vous irez à l'étranger et que vous direz d'où vous venez, il faudra assumer devant ces regards, comme il a fallu assumer pour le 1/5e de la population qui a donné sa voix à un porc xénophobe. Et c'est bien fait pour nous. Moi, c'était ce soir: Mais pourquoi la France dirait non?, m'a demandé une amie allemande. Parce qu'on est hautains, arrogants et supérieurs. Parce qu'on a rien compris à la démarche européenne et qu'on a cru qu'on pourrait faire avec nos voisins comme on a fait avec nos colonies au siècle dernier: dicter notre bon vouloir, imposer notre volonté et notre modèle, si tant est qu'il en existe un.

Je ne veux blesser personne. Statistiquement, j'ai tort, je me suis fourvoyé, je suis un suiviste chiraquien derrière ce masque de gauche. Alors remettez moi à ma place. Ou si quelqu'un peut m'expliquer, me donner des arguments valables et un tant soit peu intellectuellement honnêtes et me montrer comment on va réussir à aller de l'avant et à obtenir aussi bien que ce traité, je suis plus que preneur. Dernier point, si quelqu'un peut m'indiquer l'URL où consulter le texte du fameux plan B, ça m'intéresse aussi. En attendant, j'ai honte. Et tout ce que je peux souhaiter, c'est que la France soit mise sur la touche pour les 15 prochaines années et que nos voisins et la construction elle-même ne subissent pas ce coup de frein, au moment où c'est la dernière des choses dont on avait besoin. Vraiment honte.