Le pourquoi...

Tout commence par mon rêve d'enfance, mon avenir idéal à l'âge de 4 ou 5 ans: être éboueur! Les trajets sur les marchepieds, la manipulation des basculeurs, autant d'éléments qui me fascinaient. Puis vint la période où je voulais devenir conducteur de tractopelle, effaçant ce projet qui faisait tant rire les adultes. Quelques années plus tard, je ne le sens pas de postuler à nouveau pour le poste que j'ai occupé plusieurs saisons au centre de location nautique du coin, envie d'aller voir ailleurs... Je profite des offres de vacations aux enfants du personnel de Brest Métropole Océane, au choix: espaces verts, collecte des déchets ou voirie. Une occasion de vivre un rêve d'enfance, ça ne se rate pas!

Embauche et formation

Lors de mon premier contact avec le contremaître, je suis vite mis au courant: "un camion, c'est un chantier ambulant", ce qui semble souvent être une tâche relativement simple et répétitive s'annonce donc comme un métier à risque, même si n'étant pas très calé en BTP, la métaphore m'échappe quelque peu... La formation commence tôt, pour nous habituer aux horaires de travail (6h-12h30). Visionnage de quelques cassettes vidéo, puis visite des locaux, et enfin pratique, donc rencontre avec 2 ou 3 des 80 agents de la collecte.

Les Cubains, mes collègues

Pour les non-Brestois, une explication s'impose. Avant de se muer en Brest Métropole Océane, le groupement de communes s'appelait plus modestement la Communauté Urbaine de Brest, la CUB. Ses agents sont donc souvent appelés Cubains, par opposition aux Villains, qui travaillent pour la Mairie de Brest. Revenons-en à notre propos. Passé les 2 ou 3 premiers jours, pendant lesquels j'avoue m'être amusé à apprendre à utiliser les commandes et à perfectionner mon maniement du bac, l'intérêt de ce job, c'est vraiment d'entrer dans le monde des éboueurs cubains.

Chaque matin, c'est la découverte d'une galerie de portraits, de personnages hauts en couleurs, parfois hagards à l'embauche, parfois plus volubiles... Et une prise de conscience sur mon entourage par rapport à l'ensemble de la société, qui commençait à devenir urgente. Je me suis rendu compte qu'à part quelques vacataires de mon âge que j'aurais pu croiser au lycée, je n'avais qu'une vague idée du monde sociologique dans lequel j'allais évoluer. Non pas que j'ai cherché à m'enfermer dans ma CSP, mais arriver dans un environnement où beaucoup ont arrêté les cours à 14 ans avec l'idée qu'un bac +5 n'a rien d'exceptionnel fait prendre du recul.

Le monde vu par mon équipier

Parmi tous ces personnages, mon équipier m'a particulièrement marqué. 36 ans derrière une benne, été comme hiver. Un petit gabarit sec et incroyablement dynamique, levant tous les jours une dizaine de petits bacs pour les vider directement dans la benne, sans se servir du basculeur. A 55 ans. Toujours prêt à raconter combien c'est facile en ce moment, quand beaucoup de poubelles sont presque vides ou absentes du trottoir pendant les vacances, quand il ne pleut pas, qu'il ne fait pas froid. Et à dire combien les conditions de son travail se sont adoucies depuis son début de carrière, quand toutes les ordures étaient ramassées à la main par les éboueurs, quand les vieux camions n'étaient pas conçus pour simplifier un peu la tâche. Je vous passe le récit héroïque du Mai 68 des éboueurs de Brest: vidage des camions dans les rues pour faire des barricades ou sur le parvis de l'hôtel de ville.

Mais le plus drôle, c'est que pour lui, le monde entier, c'est des enculés. Que les administrés de la Métropole océane sortent leurs bacs ou non, qu'ils soient bourrés à craquer ou au contraire presque vides, que les automobilistes roulent trop vite ou trop lentement, le verdict est identique. Je vous l'accorde, il existe quelques variantes, mais au fond, il n'en pense pas moins. Niveau travail, même s'il se donne à fond, on sent l'usure.

On va pas s'emmerder avec ça!
Si c'est pas bien, c'est bien quand même!

sont également ses leitmotivs. Les tournées sont bien animées!

Une motivation professionnelle qui tranche avec les discours et les préjugés

A entendre les échanges sur la fatigue générale et l'envie de ne pas bosser à la boîte (le centre technique communautaire), on s'attendrait à un travail au ralenti, inefficace au possible. Surprise, c'est tout l'inverse. Une fois sur le terrain, chacun s'active, tirant une certaine satisfaction du positionnement élégant et précis de ses bacs, de la cadence que certains s'imposent pour obtenir la reconnaissance de leurs pairs, à défaut d'avoir celle de la société.

Les revenus ne sont pas si élevés qu'on le croit souvent: c'était parfois le cas à l'époque où les camions étaient utilisés après les tournées pour faire de la récup' de matériaux revendus ensuite au noir. Mais aujourd'hui, après 30 ou 40 ans de carrière, un éboueur dépasse rarement les 2000€ mensuels, ce qui sans être négligeable, n'est pas non plus mirobolant pour le travail fourni. Le complément de rémunération en estime est donc bienvenu. On assiste à des scènes surréalistes: on se traite d'ordure (sic!) entre collègues pour défendre l'image des efforts fournis. Ma tournée est plus grosse que la tienne, ton camion est presque vide... Un consultant en RH n'aurait pas imaginé mieux pour booster la productivité.

Dans les bacs

Outre certains bacs remplis à ras bord de cadavres de bouteilles, ce qui m'a le plus frappé dans les poubelles brestoises est sans conteste l'omniprésence des emballages de menus au logo en grand M. Rien qu'en surface de poubelle, on doit en voir minimum une trentaine par jour. Vu leur volume et leur propension à se vider sur la chaussée, il devient assez urgent de s'interroger sur l'utilité de ces sur-emballages, du côté de ces chaînes de fast-food comme du côté de leur client! Pour répondre à une autre question récurrente, l'odeur n'est gênante que très ponctuellement, mais certains bacs sont vraiment immondes.

La foirfouille

Heureusement, les poubelles recèlent parfois de vrais trésors pour ceux qui savent les chercher... Les déménagements et jours de collecte des encombrants sont en général des bons plans, mais pour les accrocs de la foirfouille, tout est bon à prendre. Certains remplissent leur garage de ce que jettent les clients, d'autres ne peuvent s'empêcher de ramener la moindre télé ou game boy (autre blockbuster des poubelles brestoises) pour la tester. Et dans bien des cas, ça marche!

Ceci m'amènera à d'autres réflexions, mais cette expérience a été extrêmement enrichissante en-elle même. L'occasion de découvrir les administrations territoriales du bas de la hiérarchie, d'ouvrir des perspectives et accessoirement de me sur motiver pour continuer dans mes études! Expérience réussie...