Agreements vs. loi

Ce sujet m'a d'autant plus intéressé que la lutte contre la pollution des sacs plastiques est souvent citée comme un exemple de réussite d'initiative environnementale en Afrique du Sud. Et malgré ce contre exemple flagrant, il faut reconnaître que ce succès est visible.

La démarche elle-même est originale: en 2002, des discussions entre les industriels des sacs plastiques, les syndicats du secteur et la distribution dans le cadre du National Economic Development and Labour Council aboutissent à un accord visant à augmenter l'épaisseur des sacs plastiques pour les rendre réutilisables et à limiter la quantité d'encre utilisée pour les rendre facilement recyclables. Il est prévu de maintenir les emplois du secteur (4000) en développant l'industrie du recyclage.

Ce n'est qu'en 2003 que cet accord est intégré à la législation sud-africaine, en ajoutant un élément important: les sacs plastiques ne peuvent plus être "offerts" par les magasins, ils doivent être achetés pour quelques cents. Afin de rendre la mesure populaire, les distributeurs se sont engagés à ce que cette nouvelle source de revenus pour eux soient consacrée à la baisse des prix des produits de base. Juste retour des choses, puisque le coût des sacs plastiques offerts était bien sûr, comme il l'est en France actuellement, répercuté sur l'ensemble des prix des produits.

Autre exemple d'agreements, plus proche de nous cette fois, puisqu'il est corse. Comme Yves Jégo (UMP) le remarque en proposant le texte de loi:

Depuis le référendum de mai 2003, à l’initiative des consommateurs, la Corse est devenue la première région de France à bannir les sacs plastiques de son territoire à l’instar de certains pays comme l’Irlande, Taïwan ou l’Afrique du Sud. Cette prohibition du sac plastique sur le territoire de l’Ile de Beauté s’est faite grâce à des actions de sensibilisation et à un partenariat étroit avec les grandes surfaces: elle ne dispose d’aucune base légale particulière.

Voilà qui devait faire horreur à une assemblée de législateurs. Qu'on se rassure, cette idée est rapidement écartée:

Mais un tel consensus semble difficilement transposable en métropole.

Voilà qui aurait pu être au moins argumenté: pourquoi donc? La Corse a donc une culture si radicalement opposée à celle de la France? Ne peut-on établir le consensus qu'à l'échelle régionale? Ou l'insularité est-elle un pré-requis?

Quoi qu'il en soit, en France, c'est donc la voie législative habituelle qui a été employée pour apporter une solution à ce problème complexe.

Beaucoup de sacs jetables biodégradables ou des sacs réutilisables? Une responsabilisation du consommateur et une récompense, ou le statu quo?

Si cette loi a été votée à l'unanimité par les députés et si elle m'a réjoui quand j'ai entendu les présentations de son adoption dans les médias, je suis beaucoup plus nuancé aujourd'hui.

Au final, voici les implications de la loi française: au 1er janvier 2010, les grands commerces (de plus de 300m²) ne pourront plus utiliser à des fins commerciales ou distribuer des sacs ou pochettes en plastique non biodégradables. Il est à noter que beaucoup d'interrogations se sont fait entendre sur la biodégradabilité des sacs ou leur fragmentabilité, qui en l'état des technologies semble être un objectif plus réaliste. Dans tous les cas, aucune incitation à utiliser l'outil le plus écologique selon l'ADEME, à savoir le cabas, ou un sac à dos, ou tout ce que vous voulez, mais qui se réutilise et ne se jette pas.

En Afrique du Sud, avec deux ans de recul, les résultats sont ahurissants: la production de sacs plastiques a chuté de 80 à 90%, selon les estimations. Mieux encore, la norme d'épaisseur retenue étant éloignée des standards internationaux, les importations ont chuté et des créations d'emplois ont été permises par la croissance de la demande de sacs en coton ou en PVC épais par exemple. De même, la transparence des prix en rayons s'est considérablement améliorée, le pouvoir d'achat pour les produits de base s'est érodé moins vite, grâce au sac payant. Le retard dans la mise en place d'une filière de recyclage met l'industrie traditionnelle et ses emplois en difficulté, mais une politique volontariste de réduction de la pollution pouvait-elle et devait-elle la préserver au delà de cette mesure?

En Irlande, où chaque sac plastique est taxé à hauteur de 0,15€, les recettes alimentant un Fonds pour l’Environnement, les résultats ne se sont pas fait attendre non plus: en un an, la demande a chuté de 90%.

En France, dans plus de 4 ans, sauf si nos comportements individuels changent, nous consommerons toujours autant de sacs, qui feront certes moins de dégâts après leur utilisation, mais qui n'en feront pas moins avant: il faudra toujours de l'énergie (ou de l'eau, si l'on parle de l'amidon de maïs, solution miracle du jour alors que le maïs était dénoncé il y a 3 mois pour ses énormes besoins en eau) pour le produire, l'acheminer et le distribuer. Les consommateurs continueront à se faire duper par le cadeau du sac, ou si la demande vient à baisser, les distributeurs se garderont bien de répercuter leur baisse de coût des sacs sur le prix des produits.

Finalement, si l'on se donne 4 ans de délai, on avait largement le temps d'arriver à un consensus en métropole, si seulement on avait l'idée d'explorer les voies sous-utilisées de la concertation et de s'intéresser vraiment à ce qui marche ailleurs, au lieu de se contenter, dans le meilleur des cas, de l'évoquer. En tous cas, ça pourrait valoir le coup d'essayer.