Revenons un peu sur le fond: une entreprise veut développer son activité et s'accroître. Pour cela, elle envisage de construire une autre usine à 60km de là, pour avoir des infrastructures et un environnement plus adéquats à son activité. Pour un site Seveso, il semble en effet intéressant d'avoir des pompiers à proximité pour intervenir par exemple. De même, s'éloigner un peu du Parc National des Pyrénées ne paraît pas tout à fait incongru pour une industrie chimique.

L'emballement médiatique

C'est dans ce contexte qu'arrive Jean Lassalle, député de la 4e circonscription Pyrénées-Atlantiques, personnage délicieusement exotique pour médias parisiens lassés de faire semblant d'informer la ménagère de moins de 50 ans sur le CPE. Il a même un petit accent de provincial et un béret, c'est dire. Quand une rédaction tient un client du genre, elle ne le laissera pas tomber tant que le public n'en sera pas repu.

Et voilà ce qu'il faut pour faire d'un député un nouveau héros politique - à croire que la période en manque. Si même un député doit faire une grève de la faim pour qu'on l'écoute, notre démocratie va bien mal... Voilà enfin un homme politique dévoué, prêt à tout pour sa circonscription... Grand mouvement de sympathie pour l'élu du peuple, qui fait figure d'OVNI dans salle des Quatre-Colonnes, que l'on présente comme un type bien, qui a au moins le mérite d'essayer, même si ça doit bien faire rire les journalistes en off.

Pendant 39 jours, on suit sa perte de poids, les visites de ses camarades, puis on envoie même des équipes sur le terrain, pour faire quelques plans de la vallée d'Aspe, de l'usine, de la maman du député, histoire de rendre la saga plus visuelle. On évoquera, sans se poser plus de questions, les réserves de la CGT quant à la méthode: l'histoire est trop belle, on veut croire et faire croire à cet acte de bravoure, de courage politique.

Pas plus que Jean Lassalle ne l'a apparemment fait, on ne réfléchira aux conséquences de cette démarche. On ne verra pas les énormes erreurs, économiques, politiques, stratégiques et même diplomatiques accumulées dans toute cette démarche.

Dans une économie ouverte, l'entreprise décide

Admettons le postulat de Jean Lassalle: Toyal ne veut pas se développer ailleurs, mais se délocaliser. Si cela reste à prouver, un responsable politique local devrait savoir qu'une entreprise ne s'engage jamais à rester ad vitam eternam quelque part. Même si le coût d'un déménagement n'incite pas à une mobilité irréfléchie, elle partira si elle peut faire vraiment mieux ailleurs. Dans une économie ouverte, principe qui n'est pas franchement combattu par l'UDF, c'est l'entreprise qui décide. On peut parfois influencer ces choix en agissant sur leurs déterminants, mais elle a le dernier mot.

Si la vallée d'Aspe n'est plus un territoire pertinent pour une entreprise d'un secteur donné, il faut se demander pourquoi. Si les causes sont des dysfonctionnements légers, on peut faire un effort pour les résoudre. Si les causes sont plus lourdes, autant accepter de tourner la page et se préparer activement à la suite.

Laisser partir pour mieux préparer la suite

Comme souvent dans les territoires fragiles, le premier réflexe est de tout faire pour maintenir l'employeur dominant en place, à tout prix. On sait bien que le développement économique est susceptible d'arriver par la spécialisation du territoire dans une activité porteuse d'avenir. C'est elle qui permettrait d'en faire une unité cohérente de production, de développer un effort de recherche appliquée, de provoquer des synergies entre entreprises et université ou écoles locales. C'est par ce biais que l'on peut anticiper et générer les innovations qui donneront demain un avantage au territoire. On le sait, mais en arrivant dans le mur, on enfonce l'accélérateur, pas le frein.

Un territoire sans stratégie de développement se raccroche à son passé: en attendant la fermeture, on dépense toute son énergie à la retarder de quelques semaines. C'est dans ce travers qu'est tombé cet élu, au lieu d'essayer de regarder vers où le territoire pouvait aller à long terme, il s'est focalisé sur une évolution sur laquelle il n'a pas prise.

Erreur de débutant? Le personnage est maire du village de Lourdios-Ichère depuis 3 décennies. On ne peut pas dire qu'il n'a pas eu le temps de préparer l'avenir, mais le bilan qu'il affiche est hallucinant: pour lui, son territoire est déjà en lambeaux. Impressionnant pour qui se présente comme un technicien agricole spécialisé dans l'hydraulique et l'aménagement du territoire! Cet attachement à ce symbole est d'autant moins pardonnable qu'il n'est pas, comme le salarié qui risque de perdre son boulot, ou comme le syndicaliste qui doit défendre les intérêts du salarié, directement impliqué. Un député aurait dû servir l'intérêt général, et savoir prendre la distance nécessaire pour agir plus efficacement.

De l'espoir vendu aux électeurs, un épouvantail pour les entrepreneurs

De représentant du Peuple, Jean Lassalle a voulu devenir à la fois décideur économique et militant médiatique. Il a fait naître l'espoir chez ses électeurs, il a voulu leur montrer que son engagement était total. Et sur cet aspect, il a gagné: tout le monde a conclu à sa victoire.

Seulement, il a véhiculé le pire des messages aux acteurs économiques: ma vallée est sinistrée, et je suis prêt à prendre en otage la dernière entreprise qui la maintient en vie. J'irai jusqu'au bout, je ne négocie pas, je veux un engagement écrit et signé. Au passage, si Jean Lassalle avait pris un peu la peine de se renseigner sur la culture japonaise, il aurait su que cette exigence d'écrit allait être prise comme une marque de défiance, ce que l'on essaie en général d'éviter dans les négociations.

Les chefs d'entreprises français connaissent ce genre de postures, souvent tenues par les syndicalistes que la faible représentativité conduit au fanatisme. Ils les connaissent et les évitent autant que possible. Pour les investisseurs étrangers moins au fait de nos coutumes sociales, c'est une surprise, mais le risque est bien évalué. Mais si même les députés chrétiens-démocrates s'y mettent, choisir la France relève du masochisme.

L'ambassadeur du Japon ne s'y est pas trompé: cet affichage est une calamité pour notre économie. Il est bien plus puissant que toutes les campagnes visant à inciter à l'investissement sur le sol français, à dire que la France est ''open for business''. Le message est clair: venez, venez, au pire, si vous deviez bouger (sans même avoir à franchir quelque frontière que ce soit), les institutions aideront les syndicats à vous clouer sur place. Et s'il le faut, notre exécutif tricéphale finira même par s'emparer du dossier. Même celui qui s'affiche comme le plus libéral des trois saura mettre ses principes de côté pour que l'entreprise qui veut s'accroître soit contrainte de végéter.

Victoire???

Je prends les paris: dans les cinq ans à venir, l'entreprise aura trouvé le moyen de s'éclipser discrètement de la vallée, et l'on se retrouvera avec une main d'œuvre fragilisée, déprimée, trompée et difficile à adapter à une autre activité. Je serais vraiment curieux de savoir quel aura été l'impact de toute cette histoire sur l'emploi en France. Il est impossible à évaluer, mais je ne serais pas surpris que plusieurs milliers d'emplois de plus ne se créent pas ou disparaissent. Belle victoire.