Tout d'abord, on confond un état historique et une théorie politique. Le capitalisme est la situation dans laquelle le facteur capital est dominant, dans laquelle il reçoit la plus grande part du bénéfice dégagé. Il s'accommode du marché, condition de l'éclosion des unités de production et de l'écoulement de ses produits, mais il n'a de cesse de le détourner. Le capitalisme pousse à la concentration des acteurs, pour augmenter la rente, et donc à la limitation de la concurrence, qui est fonde le pouvoir de l'acheteur et lui permet de choisir le prix et la qualité qu'il demande.

Le libéralisme, s'il est souvent réduit au mieux au laissez-faire économique, au pire à la concurrence effrénée qui tue le bon Peuple, est une théorie un tant soit peu plus profonde, qui nécessiterait hélas plusieurs tracts pour être expliquée. L'étymologie n'est pas trompeuse: il s'agit d'abord d'un système de pensée qui vise à protéger la liberté, à limiter le pouvoir par le pouvoir, mais aussi d'une théorie du neutre, qui vise à concilier les facteurs de productions et les opinions pour permettre la production et la vie en société.

Le plus souvent, on pratique l'amalgame le plus complet. Mais parfois, pour sortir de la position inconfortable de celui qui laisserait entendre qu'il n'est pas épris de liberté, on distingue le libéralisme politique, acceptable, du libéralisme économique, d'autant plus honni qu'il est limité à des effets de bords, présentés comme ses seuls résultats tangibles (qui présenterait la possibilité pour un commerçant ou d'un chef d'entreprise de s'installer comme un acquis du libéralisme?). D'un côté, la tradition des Lumières, de l'autre, les boursiers, le FMI et la Commission européenne. Si l'intention de ne pas tourner le dos à la reconnaissance de libertés individuelles est louable, ce compromis n'est toujours pas satisfaisant.

En fait, nous avons oublié ce qu'était le libéralisme, avant qu'il ne soit utilisé par les capitalistes modernes pour rendre leur agenda plus acceptable. En effet, sous couvert de libéralisme, certains demandent aujourd'hui un recul de l'État, de l'impôt et des systèmes sociaux. Si le libéralisme n'implique pas l'État-providence, il pose toutefois le principe d'une régulation sociale et économique, pour permettre à la démocratie et au contrat de se développer. Les capitalistes adoptent donc une lecture très partielle et intéressée, soit. Le problème, c'est que l'ensemble de la société leur emboîte le pas dans la perversion de cette théorie politique, qui prône pourtant un équilibre entre travail et capital, la coexistence des acteurs par la concurrence quand ils veulent la domination du capital et la jouissance de leur rente.

Alors de grâce, arrêtons de dire du Président qu'il est un libéral, ou un ultra-libéral. Il vient d'arracher à nos partenaires le retrait de l'objectif de  concurrence libre et non faussée du prochain traité européen. Il fait reculer la fiscalité sur les successions, déjà dérisoire, là où une politique libérale l'aurait alourdi par rapport à l'impôt sur le revenu, pour permettre l'enrichissement des personnes, mais limiter les effets de dynastie qui induisent l'inégalité à la naissance. Il s'insurge que les produits importés ne financent pas les dépenses sociales nationales, ne mettant en avant que les aspects protectionnistes de la TVA sociale. On pourrait multiplier les exemples. Sarkozy n'est pas un libéral, même s'il vous affirmerait le contraire la main sur le cœur...

Face à lui, la gauche, en adoptant cette vision du libéralisme, croit devoir s'y opposer au nom de la justice sociale. De fait, on s'interdit une intervention économique plus light mais potentiellement plus juste, plus incitative. On s'interdit la régulation des monopoles et on renforce les frontières qui interdisent à certains d'exister dans la vie économique, pour préférer les incantations de ''patriotisme économique'' et le soutien des ''grands champions'', qui n'en demandaient pas tant, merci pour eux. On fait une montagne des délocalisations, qui représentent 5,5% des causes de restructuration en Europe début 2007(1). Et l'on ajuste donc tout notre système économique, nos politiques et nos aides publiques à ce risque, qui, à force de répétition se propage dans l'esprit des salariés. Au lieu d'accompagner la mutation et de limiter ses effets sur les personnes, on en fait un drame national et on essaie de la freiner.

Voilà comment nous avons échoué, là où nos voisins ont pu évoluer. Au lieu de réguler le capitalisme, nous accusons le libéralisme. Au lieu de s'assurer de la neutralité du système, on le rigidifie. En se trompant de terme, on se trompe d'ennemi, et donc de solution.

Si avez envie d'approfondir la réflexion, je ne peux que vous recommander ce livre ô combien nécessaire et d'une lecture agréable: Le libéralisme contre le capitalisme, de Valérie Charolles (Fayard, 2006).