On ne s'en rend pas forcément compte au jour le jour, mais la législation française est malade.

Chaque année, ce sont 70 lois qui sont publiés au Journal officiel. Et ces lois sont de plus en plus longues. Pire: en plus d'exploser en volume, ce qui a déjà pour effet direct d'atténuer leur portée, elles sont de plus en plus mal rédigées. Au point que la loi bavarde est aujourd'hui censurée par le Conseil constitutionnel, quand celui-ci a l'occasion de le faire.

Le coût d'une mauvaise loi

On a parfois l'impression que si une loi n'apporte rien, permettant juste l'affichage médiatique de son promoteur, elle ne sera pas pour autant nocive. En réalité, on peut comparer l'écriture de la loi à celle d'un logiciel: bien sûr, on peut laisser passer des bugs, des répétitions, des injonctions contradictoires, ne pas optimiser le code. L'ensemble a des chances de fonctionner, mais il devient plus lourd et plus coûteux en ressources, et impossible à comprendre pour qui ne l'a pas créé.

Par exemple, bien des articles portant sur la fiscalité ont fait l'objet d'incessantes modifications, parfois deux par an, pendant plusieurs années de rang. Dans ce cas, comment le sujet de droit peut avoir la moindre visibilité sur son avenir? On commence à comprendre qu'en plus de limiter le Parlement au rôle de machine à pondre des textes peu applicables et peu appliqués, et donc à l'empêcher de contrôler l'exécution de la loi et l'action du Gouvernement, les mauvaises lois nous coûtent très cher. Et ce coût dépasse largement celui de la publication de nouvelles pages de JO: les sujets de droit se voient aujourd'hui contraints de développer une veille juridique et d'imaginer quelle interprétation pourrait faire un juge d'un alinéa limpide comme du fuel lourd. Pour plus d'informations sur ces enjeux, on se reportera au fameux rapport du Conseil d'État de 2003 sur la sécurité juridique.

À qui la faute?

À nous, qui ne prenons pas le recul suffisant devant les faits divers, qui nous imaginons que nous vivons une situation nouvelle, qui exige une loi nouvelle, quand bien souvent il n'en est rien. Aux médias, qui ne font le plus souvent rien pour nous sortir de cette ornière, pour qui nouveauté rime avec exclusivité, et donc ventes. Aux élus, qui ont parfois la faiblesse de chercher à se faire notre miroir, quand ils devraient nous représenter en prenant la responsabilité d'une absence de réaction lorsque celle-ci est inutile; et plus encore, à ceux qui tiennent à laisser leur nom au JO et faire ainsi preuve de leur activité et apparente efficacité.

La responsabilité est donc diffuse, mais aujourd'hui, il est urgent d'en revenir aux fondamentaux. Montesquieu, déjà frappé par l'accumulation législative, esquissait ce principe:

Il y a peu de relation de nos actions, qui sont en perpétuelle mutation, avec les lois fixes et immobiles. Les [lois les] plus désirables, ce sont les plus rares, simples et générales [...].

Quitte à paraître un peu sec pour le législateur ne parvenant pas à mettre de côté sa vocation d'écrivain quand il légifère, il faut s'imposer la discipline que préconisait Portalis:

La loi permet, ordonne ou interdit.

Si l'on réduit le volume, il sera déjà plus simple de voir les interactions d'une nouvelle disposition avec son environnement légal ou réglementaire.

Un espoir: s'appuyer sur les expériences des citoyens pour restaurer la qualité de la loi

L'initiative de la Commission des Lois de l'Assemblée nationale peut faire espérer l'avènement d'une plus grande vigilance du législateur quant à la qualité de son œuvre, mais marque aussi une évolution intéressante: le citoyen est invité à assister ses représentants, à attirer leur vigilance sur des articles devenus désuets ou en contredisant d'autres. Le législateur admet qu'il n'a pas seul les moyens de résoudre ce problème, que des experts peuvent exister en dehors de ceux qu'il avait l'habitude d'entendre en commission, que les praticiens du droit peuvent être d'une aide précieuse.

Alors bien sûr, la réalisation peut paraître un peu frustre, un simple formulaire, alors qu'il pourrait y avoir matière à faire vivre une communauté de contributeurs grâce à un outil s'inspirant de ceux qu'utilisent les logiciels libres utilisent pour recenser et suivre les bugs et leur résolution, et ainsi s'économiser une partie du traitement des contributions (ce qui s'annonce ardu, vu le rapport signal/bruit des premières contributions), mais aussi stimuler la participation en donnant de la visibilité aux bonnes contributions ou encore organiser des campagnes de relecture collective. Mais le seuil psychologique est franchi. Et je ne doute pas que la forme suivra. Peut-être, qui sait, en s'appuyant sur la nouvelle version de Légifrance qui devrait arriver dans les mois qui viennent.

En attendant, si vous croisez des dispositions devenues inutiles, redondantes, obsolètes ou insuffisamment normatives, n'oubliez pas de le signaler à vos représentants.