Le chiffre est impressionnant: les acteurs économiques américains tirant une majeure partie de leur activité des exceptions à la protection de la propriété intellectuelle ont généré une valeur ajoutée de 507 milliards de  dollars US entre 2002 et 2006, soit 18,3% de la croissance nationale sur cette période. L'étude, commanditée par la Computer & Communications Industry Association, peut certainement être critiquée sur ses présupposés et sur les chiffres atteints: le poids économique des moteurs de recherche américains, pour lesquels la limitation du copyright est en effet vitale, rend difficilement transposable ces chiffres ailleurs. Mais elle dénote une évolution intéressante, après des tonnes de rapport sur les pertes supposées être induites par le piratage ou sur l'impérieuse nécessité de renforcer la protection, que dis-je, le verrouillage des innovations.

C'est en effet une belle illustration de la double fonction de la propriété intellectuelle. Elle permet de laisser à l'innovateur un monopole qui doit l'inciter à créer, en lui offrant des perspectives de profit. Mais ce monopole est temporaire: la propriété doit être limitée pour que l'innovation se diffuse et soit prolongée par les concurrents, qui génèrent sur ces nouveaux fondements de nouvelles innovations et de nouvelles activités.

L'histoire de la propriété intellectuelle montre que les infocapitalistes ont remporté bien des arbitrages. D'une protection de 14 ans après la divulgation de l'œuvre, renouvelable une fois en 1790 aux USA, on est aujourd'hui arrivé à un verrouillage de 70 ans après la mort de l'auteur.(1) Autant dire que le domaine public a été sérieusement amputé. Mais les exceptions à la protection des œuvres, qui sont regroupées sous le terme de fair use aux États-Unis, sont tout aussi importantes: sans droit à la parodie, à la citation, à la copie privée, les œuvres ne pourraient entrer dans la culture qu'au siècle suivant.

Un rappel bienvenu: stimuler la création, c'est bien. La mettre sous cloche, c'est limiter les progrès que l'on pourrait en tirer, les usages et les détournements fertiles qui pourraient en être faits. Il ne suffit pas d'innover, il faut aussi que l'innovation puisse servir.

Notes

(1) On se reportera sur ce sujet à Lawrence Lessig, Free Culture - How Big Media Uses Technology and the Law to Lock Down Culture, The Penguin Press, 25 Mar 2004, 348 pages, ISBN 1594200068, téléchargeable gratuitement sur free-culture.cc