Vous l'aurez peut-être remarqué, mais rares sont les candidats qui n'ont pas promis de représenter les intérêts de leur circonscription à l'Assemblée Nationale. Alors soit, la mode est à la proximité, à la prise en compte des problèmes des vrais-gens-qu'on-croise-dans-la-rue, avec en toile de fond une montée en puissance des territoires, qui prennent parfois la charge identitaire que l'on ne trouvait qu'au niveau national il y a encore quelques décennies. Mais c'est à mon humble avis à la fois une perversion des institutions et un détournement du système politique et un signe fort des limites de la décentralisation à la française. Un cas d'école de lose-lose pour l'État et les territoires, en somme.

Le député doit représenter la Nation et non sa circonscription

Au risque de passer pour un fervent défenseur de la Constitution de 1958, une courte citation éclaire assez bien la répartition des rôles au sein du Parlement:

Article 24:
Le Parlement comprend l'Assemblée Nationale et le Sénat.
Les députés à l'Assemblée Nationale sont élus au suffrage direct.
Le Sénat est élu au suffrage indirect. Il assure la représentation des collectivités territoriales de la République. Les Français établis hors de France sont représentés au Sénat.

Si les candidats ne maîtrisent pas la Constitution, la fiche descriptive du site de l'Assemblée est limpide:

Chaque député, bien qu'élu dans un cadre géographique déterminé, est le représentant de la Nation tout entière. Ainsi, à l'Assemblée nationale et dans sa circonscription, chaque député agit et parle au nom de l'intérêt général et non pas au nom d'un parti politique, d'un groupe d'intérêt ou d'une région.

Comme son nom l'indique, la Chambre basse est nationale. Les représentant du peuple doivent donc légiférer pour le pays entier, même si le scrutin est organisé par circonscription (Article L124 du Code électoral). Il n'y a donc pas lieu pour un député d'essayer de faire passer une législation avantageant ou protégeant sa circonscription.

Reste un pouvoir d'influence, dans l'environnement institutionnel actuel: avec un pied à terre parisien, un titre de député et le carnet d'adresses correspondant, il est en effet plus facile d'être reçu dans un ministère pour faire avancer un projet local dépendant de financements de l'État. C'est là une justification des plus convaincantes du cumul des mandats.

Les territoires restent dépendants d'un relai parisien

Mais l'État-guichet montre aujourd'hui ses limites... Et la situation est objectivement peu satisfaisante pour les collectivités. Avoir comme maire ou président un député apporte parfois un peu de visibilité (s'il fait partie des 30 à 40 députés médiatiques au niveau national), parfois une plus grande facilité à toucher les interlocuteurs, mais cela implique aussi de se résoudre à ne pas avoir un représentant à plein temps pour le projet de la collectivité.

Alors que les compétences et les responsabilités des collectivités territoriales se développent, qu'elles arrivent à maturité, ce cordon ombilical avec la Capitale devient de plus en plus encombrant, et apporte de moins en moins de nutriments. Alors bien sûr, le couper semble encore périlleux, chacun étant convaincu que renoncer à un siège de député, c'est aussi lâcher prise sur l'État, et laisser d'autres défendre leurs projets. Mais nous aurons maintenant au moins un exemple de députée sortante qui choisit de ne pas se représenter pour se consacrer à sa région...

Quelques pistes pour résoudre les tensions et avancer?

Ne voyez là aucune prétention d'un pseudo-constitutionnaliste en herbe: bien entendu il n'y a pas de solution miracle, mais il me semble que certaines évolutions pourraient peut-être nous sortir de cette situation insatisfaisante.

Comme vous l'avez lu plus haut, le Sénat doit assurer la représentation des collectivités territoriales. Pourquoi ne pas renforcer cette représentation, afin de garantir que tous les territoires soient bien représentés au Parlement, qu'ils aient la possibilité de peser sur la législation autrement que par les associations d'élus, de façon plus directe. Faire un vrai Bundesrat à la française permettrait de dépasser les tensions entre ministères et législateurs qui décentralisent et s'en félicitent, puis tentent ensuite de garder leur mot à dire sur les champs de compétences décentralisés.

Avec une représentation des territoires et de l'ensemble du territoire national assurée, il devient inutile de tenter le grand écart entre un électorat découpé en circonscription locales et inégales peu cohérentes et la promotion de l'intérêt général dans le travail législatif. Les députés ne sont pas assez proches? Laissons-les prendre le large, pour appréhender leur travail de législateur avec une vision nationale, communautaire et internationale, et donnons plus de pouvoirs aux élus locaux.

En allant un peu plus loin, un scrutin de liste au niveau national permettrait de résoudre plusieurs problèmes souvent dénoncés. Les parachutages mal vécus par les citoyens et les militants locaux n'auraient plus de raison d'être. La parité pourrait être vraiment atteinte: chaque parti pourrait être contraint de constituer sa liste de candidats en alternance homme/femme. Les candidats issus de l'immigration feraient leur entrée à l'Assemblée; ou les partis pourraient être dénoncés pour leur double langage s'ils ne figurent pas en position éligible.

Enfin, la représentation des partis minoritaires pourrait être mieux assurée que par l'introduction d'une simple dose de proportionnelle, sans que les majorités ne soient instables. Pour ce faire, on peut s'inspirer du scrutin utilisé pour élire les Conseils régionaux: il permet d'évacuer les partis ultra-minoritaires au premier tour, en fixant la barre pour le passage au second tour à 10%, puis donne une prime de 25% des sièges au gagnant, ce qui lui assure une majorité confortable pour légiférer.